"Le monde, paraît-il, est divisé au plan culturel en civilisations, en zones de soumissions culturelles et en aires d'influences religieuses. Mais une réalité plus subtile voudrait qu'il soit plutôt divisé en aires de systèmes d'écriture couvrant plusieurs langues et plusieurs pays.
En effet, l'une des caractéristiques des sociétés évoluées ou civilisations est de posséder chacune, un système d'écriture autonome permettant l'instruction scolaire dans son aire d'extension."*
Roi Njoya, inventeur de l'écriture a ka u ku
* Citation tirée de L'écriture du Roi Njoya, Emmanuel Matateyou, édition Harmattan, 2015
C'est en 1895 que voit le jour le premier alphabet inventé par le Roi Ibrahim Njoya, sultan du Royaume Bamoun. Il comptait alors 510 signes. Avec le temps, l'alphabet a ka u ku a évolué et sa dernière version, en 1930, ne comprenait plus que 70 signes. Ainsi en moins de 50 ans, cette écriture a subi de grandes transformations.
Exemple de phrase en alphabet a ka u ku
Cette écriture, utilisée entre 1896 et 1930, a servi à écrire de nombreux ouvrages, dont l'Histoire des lois et coutumes des Bamoun, rédigé par le Roi Njoya lui-même. Des caractères d'imprimerie ont même été créés pour les imprimer.
Aux alentours de 1915, environ 600 personnes l'employaient quotidiennement notamment dans l'administration et elle était enseignée dans une cinquantaine d'écoles du royaume bamoun. Cet alphabet est l'unique écriture inventée par un Camerounais.
Le Roi Njoya aurait choisi d'inventer son propre système d'écriture, parce qu'il ne voulait pas utiliser l'alphabet arabe et que celui utilisé par les Européens ne permettait pas de transcrire sa langue. Il a d'ailleurs aussi inventé une langue secrète qui était réservée au roi et ses proches. Seuls quelques textes ont été rédigés dans cette langue.
C'est avec la présence coloniale française, après la première guerre mondiale, que l'écriture du Roi Njoya a fini par disparaitre du quotidien du Royaume du Bamoun.
Le Roi Njoya a été destitué de ses pouvoirs traditionnels par les Français puis exilé à Yaoundé vers 1930, où il est mort deux ans plus tard.
L'administration française a interdit les langues camerounaises et l'usage de l'écriture du Roi Njoya, en particulier.
Durant la deuxième partie du vingtaine siècle, cette écriture a sommeillé. C'est en 2002, à l'occasion d'un festival au Cameroun, qu'elle a été exhumée de l'oubli, se situant dans le prolongement de la renaissance africaine. L'année prochaine, on fêtera le centenaire de son existence.
Extrait d'une lettre du Sultan El-Hadj Ibrahim Mbombo Njoya, roi des Bamoun actuel, à Victor Bouadjio, président de l'Institut Ebena qui organise l'exposition sur l'écriture du Sultan Njoya dans le Salon International de l'Écriture.
Source: L'écriture du Roi Njoya, Emmanuel Matateyou, édition Harmattan, 2015