« – Papyrologue ? Oh c’est joli, ça fait papillon ! Tu travailles sur les papiers russes, c’est ça?
– Noooooon, les papyrus ! Les papyrus d’Egypte, le papier de l’époque, comme il y a eu par la suite le parchemin.
– Alors tu lis les hiéroglyphes ?
– Eh bien non, malheureusement, car je travaille sur les textes écrits en grec et en latin en Egypte.
– Ah! »
Soupir de regret. Et pourtant, c’est peut-être moins exotique en apparence, mais c’est cependant tout un pan d’une histoire souvent méconnue qui s’ouvre avec les mots papyrus grecs et latins.
Une discipline développée au XIXème siècle
La papyrologie, qui s’occupe de déchiffrer, traduire et commenter ces textes, s’est développée au XIXe siècle et s’épanouira tant que de nouveaux documents continueront d’être étudiés, comparés, discutés et (re)publiés. La source égyptienne n’est pas intarissable, mais des trésors insoupçonnés sommeillent encore dans des bibliothèques du monde entier et ne demandent qu’à revivre entre nos mains.
Un travail lent et minutieux
L’édition d’un texte sur papyrus ou sur parchemin consiste en un lent travail de philologie – d’amour des mots – qui s’apparente à une longue séance de reconstitution d’un puzzle, car les morceaux retrouvés doivent être analysés pour déterminer s’ils proviennent d’un même document (qu’il s’agisse d’un rouleau ou d’un codex), et rassemblés le cas échéant ; et les trous doivent être comblés – devinés, si vous voulez – avant que le contenu puisse être révélé.
Les affres du temps ne sont pas seuls responsables de l’état parfois désastreux dans lequel les fragments nous parviennent : les découpages sauvages effectués par des découvreurs et vendeurs illégaux, aux premiers temps de l’archéologie en particulier, qui dispersèrent ainsi les documents aux quatre coins de la planète, n’ont pas fini de donner du fil à retordre aux papyrologues.
Des découvertes fascinantes
Que nous révèlent donc ces papyrus ? Pour le savoir, il faut d’abord franchir la première étape, le déchiffrement, aussi palpitant que décourageant parfois.
Et le contenu alors ? Documents officiels issus parfois de l’administration impériale, contrats de vente, lettres privées, horoscopes, etc. se taillent la part belle à côté des œuvres littéraires. Quelle excitation quand un fragment de quelques centimètres carrés seulement, comportant quelques lignes tracées avec plus ou moins d’application – par un élève, un moine ou un lettré – dévoile après reconstitution un texte oublié depuis des générations ou connu seulement par des citations d’auteurs tardifs !
Le British Museum conserve par exemple un extrait relatif à la constitution d’Athènes issu de l’ouvrage d’Aristote sur les constitutions comparées des cités grecques, aujourd’hui entièrement perdu.
Un travail en réseaux
Difficile de décrire le sentiment qui habite le papyrologue penché sur des documents originaux si anciens. En remontant le temps, le papyrologue peut parfois s’y perdre ; il ne reste pourtant jamais longtemps seul dans sa quête.
Grâce à un indispensable travail en réseau, aux connexions vitales de la branche avec d’autres sciences historiques, à la numérisation et aux banques de données internationales, la solidarité entre papyrologues – ou amicitia papyrologorum, selon la formule consacrée depuis le IIIe Congrès de Papyrologie qui s’est tenu à Munich en 1933 – est très forte et le papyrologue demeure bien connecté à son temps.
Tout (ou presque) savoir sur le papyrus
La plante
Le papyrus est une plante qui pousse essentiellement en Egypte. Sa tige, qui peut atteindre six mètres, écorcée, découpée en tronçons et débitée en fines lamelles disposées les unes à côté des autres, a été utilisée comme support d’écriture entre 3000 avant notre ère et le Xe siècle de notre ère.
Papyrus ou parchemin?
C’est un rouleau de papyrus qui repose sur les genoux du célèbre Scribe égyptien du Musée du Louvre, daté de 2500 av. J.-C. environ.
Le papyrus a connu son apogée à Alexandrie au temps de la bibliothèque et du musée à l’époque ptolémaïque, avant d’entrer en concurrence avec le parchemin. Le parchemin (pergamena, du nom de la ville de Pergame en Turquie actuelle, grande rivale d’Alexandrie au IIe siècle av. J.-C.) est une peau de mouton, de chèvre ou de veau ; il a été utilisé pour sa part jusqu’au XIXe siècle.
Un peu d'histoire
Les premiers écrits sur papyrus ont été rédigés en hiéroglyphes en Egypte. Après la conquête du pays par Alexandre le Grand en 332 av. J.-C., avec les rois ptolémaïques, le grec est devenu la langue de l’administration et de la correspondance quotidienne d’une certaine classe sociale. Et dès l’époque romaine, le latin a également fait son entrée dans le royaume, sans jamais supplanter ni le grec ni les langues égyptiennes d’ailleurs (hiéroglyphes, hiératique et démotique).
Conservation des textes sur papyrus
Les textes sur papyrus ont pu être conservés de manière exceptionnelle grâce au climat du désert. Le papyrus se dégrade en effet à l’humidité et est apprécié des insectes. La documentation la plus riche provient d’Egypte ; elle se fait plus rare dans d’autres régions du bassin méditerranéen, du Moyen Orient et en Grèce. Ces documents enfouis depuis des siècles dans le sable ou les soubassements des maisons anciennes sont mis au jour lors de fouilles archéologiques, le plus souvent sous la forme de fragments épars et incomplets.
Ecritures antiques
Les écritures grecques de l’Antiquité n’offrent pas de différences aussi tranchées que les écritures latines. Néanmoins, chaque époque a ses particularités graphiques : ainsi la cursive grecque des époques ptolémaïque et romaine se caractérise principalement par la conservation des formes capitales des lettres. Pendant longtemps la cursive a été en quelque sorte l'écriture capitale tracée rapidement et avec négligence. L’époque byzantine, dès le IVe siècle ap. J.-C., se montre quant à elle particulièrement friande d’arabesques. |
Article écrit par Sarah Gaffino, Papyrologue et correctrice, Fribourg