Le correcteur au coeur des mots

Le correcteur occupe une fonction d’intermédiaire, comme l’éditeur, entre l’auteur et le lecteur, au croisement de la ponctuation, de l’orthographe et du sens. Censeur à bannir pour les uns, qui lui dénient toute créativité, ... 

... voire même toute légitimité, le correcteur joue un rôle clé pour les autres, qui lui reconnaissent une valeur de passeur. 

La ponctuation? A quoi bon?

Ringard, vraiment ? De même qu’on « emballe avec soin un objet fragile avant de l’envoyer pour qu’il parvienne intact à son destinataire » et qu’on dit bonjour avant de parler à quelqu’un, de même on ponctue une phrase en respectant les codes établis, communs à l’auteur et au lecteur, « pour qu’il entende ce que je lui écris sans qu’il ait à produire d’effort particulier, et sans distorsion de ma pensée ». C’est une question de politesse – de correction (1).

Il est vrai que depuis le XIXe siècle particulièrement, les règles se sont assouplies, la ponctuation est devenue un « espace – subjectif, affectif – de création » (2) : raison de plus pour que le correcteur pénètre dans cet espace avec respect et circonspection.

Et l'orthographe alors? Vive la réforme!

Tout se discute, bien sûr! Néanmoins dans les grandes lignes, ce petit topo sur la ponctuation vaut aussi pour l’orthographe. Les règles d’orthographe évoluent et s’adaptent à leur temps, mais orthographe et ponctuation ont une histoire commune : grec et latin, toujours. On considère en effet les savants grecs actifs à la bibliothèque d’Alexandrie, au IIIe siècle av. J.-C., comme les inventeurs des premiers signes graphiques – coupure, rajout, note essentiellement – favorisant l’édition de textes (3).

Le correcteur, animé du double souci de privilégier la précision de la langue écrite et de maintenir (ou de restaurer) la cohérence du système graphique, est un peu le garant de nos racines linguistiques.

Pour éviter que la phonétique ne prime sur l’orthographe, il luttera de bon cœur pour la sauvegarde de l’enseignement des langues anciennes à l’école.

Le sens? Une évidence?

Le correcteur et l’éditeur ont un autre point commun : l’exégèse. Pour bien apprécier et corriger un texte, il faut d’abord le comprendre. Le correcteur est l’un des premiers confidents de l’auteur, aussi pour que la confiance règne entre eux jusqu’au bout, il doit savamment doser son intervention, entre règles et interprétation.

Que la ponctuation réponde à des critères personnels ou à des codes, elle demeure invariablement porteuse de sens. « Ponctuer, c’est commenter. » (4)

Le choix du vocabulaire est une affaire tout aussi délicate. Alors, pour éviter les impairs, avant de changer une virgule ou un mot, mieux vaut que le correcteur tourne son stylet sept fois dans sa main.

Article écrit par Sarah Gaffino, Papyrologue et correctrice, Fribourg


Sources:

  1. Jacques Drillon, « Un point, c’est tout », dossier « L’art de la ponctuation », Le Magazine littéraire, n° 564 (février 2016), p. 68.
  2. Julien Rault, « Les écrivains entre marques de fabrique et bâtons rompus », ibidem, p. 82.
  3. David Bouvier, « Homère à Alexandrie : le choix des philologues », dans : Frédéric Möri, Charles Méla (dir.), Alexandrie la Divine, Chêne-Bourg 2014, vol. I, p. 321-327.
  4. Isabelle Serça, « Points d’inflexion », dossier « L’art de la ponctuation », Le Magazine littéraire, n° 564 (février 2016), p. 73.